Le pôle de compétitivité CARA a invité en juin dernier ses adhérents à une conférence sur les e-fuels et biocarburants. Voici ce que l’on peut en retenir.
L’interdiction de mise sur le marché de moteurs thermiques neufs en 2035 pour les automobiles et utilitaires légers prévoit une exception pour laquelle s’est battue l’industrie Allemande (via la VDA) : la possibilité de commercialiser des véhicules thermiques fonctionnant avec des énergies « neutres en carbone ». Evidemment combattue avec acharnement par certaines « ONG », cette dérogation met sur le devant de la scène la question des e-fuels (parfois appelés électro-carburants) et biocarburants. L’événement organisé par le pôle de compétitivité CARA dans les locaux de l’IFP Energies Nouvelles à Solaize (Rhône) le jeudi 30 mai a le mérite de clarifier plusieurs points.
En premier lieu une question de sémantique
Non, les e-fuels ne sont pas systématiquement « neutres en carbone » ni assimilables aux biocarburants. Tout dépend de la ressource énergétique qui sert aux procédés. Richard Lecoupeau de la société 2c-consulting a bien insisté sur ce point lors de sa présentation : « Un biocarburant est un carburant liquide ou gazeux crée à partir de la transformation de matériaux organiques non fossiles issus de la biomasse ». La grande famille des carburants d’origine non fossiles comprend ces biocarburants mais aussi les électrocarburants qui sont des « carburants produits à partir d’électricité d’eau et de CO2 ». Ces derniers peuvent être considérés comme vertueux si, et seulement si, ils utilisent une énergie primaire elle-même renouvelable.
Les rendements de filière ou la question qui fâche
Mais la question des rendements de filière, si souvent négligés dans le monde politique et médiatique, n’a pas échappé aux intervenants du jour. Romina Digne et Lucia Giarracca-Mehl de l’IFP Energies Nouvelles, comme Richard Lecoupeau, ont eu l’occasion de revenir plusieurs fois sur ce sujet. Ce dernier tord le cou à une idée reçue : si le rendement global du moteur thermique Diesel du « puits à la roue » est de 20%, celui de la filière électrique sur ce même critère, bien que meilleur, ne dépasse pas les 26 % (en partant du mix de production électrique France). Les valeurs s’effondrent littéralement lorsqu’il évoque l’hydrogène par électrolyse utilisé dans une pile à combustible (8%) et les e-fuels (3%). Sur la partie amont, du fait du moindre nombre de transformations intermédiaires « le biométhane a un rendement de production élevé » (de l’ordre de 80%), identique à l’efficience des raffineries de pétrole (80% également). Sur le sujet des EMAG[1], Romina Digne rappelle que la transestérification au méthanol (étape de base du procédé conduisant au B100) a un rendement proche de 100%. Elle souligne également le rendement de production des e-fuels, faible (40%). Les conclusions de Richard Lecoupeau et Pascal Megevand, co-dirigeant de la société Mégevand Frères, sont assez proches de celles de Rebecca Martin, rattaché à la direction transports et mobilités de l’ADEME : sans réduction du besoin d’énergie global on ne pourra pas remplacer toute l’énergie fossile par les substituts. Faut-il passer par la décroissance ? Certains en rêvent. Sans aller jusqu’à ce rêve totalitaire, l’optimisation des flux de transports constitue un « gisement » appréciable de gains, comme l’a rappelé Pascal Mégevand. Mais une telle approche remet en cause la logique de flux tendus et de « réponse immédiate » aux demandes des clients et chargeurs. Cela exige, à l’inverse, une optimisation des tournées, de la charge utile des véhicules. Tout ce qui vient perturber cet ordonnancement, remet en cause l’efficience du transport comme l’a rappelé, chiffres à l’appuis, Pascal Mégevand.
La bataille des ressources primaires
Rebecca Martin de l’ADEME évoque un possible « fléchage » des énergies : « on pense qu’il n’y aura pas assez d’e-fuels pour le secteur routier ». Seule la mobilité lourde (véhicules industriels) pourrait, dans les scénarii 2050 de l’ADEME en cours de révision, avoir « un mix différencié d’énergies ». Plusieurs questions sont venues du public (professionnels et adhérents au pôle CARA) sur le sujet de la souveraineté, en particulier dans la perspective de l’électrification massive des transports. Questions restées sans réponses, hormis une confirmation sur la criticité des métaux comme le cuivre. Dans cette perspective de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis des matières premières, Jean-Christophe Gautheron, secrétaire général de l’OTRE Auvergne Rhône-Alpes, rappelle l’intérêt qu’il y aurait à développer le bioGNV et à méthaniser systématiquement les boues de stations d’épurations. Romina Digne (IFP Energies Nouvelles Solaize) et Lucia Giarracca-Mehl (IFP Energies Nouvelles Rueil-Malmaison), après avoir rappelé l’enjeu commun de l’accès à la matière organique, évoquent les différences entre les EMAG (ou FAME en anglais) et les HVO[2]. Ce dernier requérant davantage de transformations puisque le procédé passe par un hydrotraitement à l’hydrogène puis une hydro-isomérisation.
Leur conclusion : pour augmenter l’offre en carburants de substitution, il faudra ajouter des XTL (de préférence issus de la biomasse, soit les BTL) et les fameux e-fuels (qui font partie des XTL via la dénomination PTL Power-to-Liquid). Ces deux filières ayant recours au fameux procédé Fischer-Tropsch connu depuis les années 1920 et appliqué industriellement en Allemagne durant la seconde guerre mondiale. Elles évoquent également la question du prix : les EMAG (de 900 à 1000€/t) ayant un petit avantage sur les HVO (de 1500 à 2000€/t). Mais, comme l’ont rappelé des représentants du monde fluvial (Cécile Cohas de VNF et Jérémy Le Bonhomme du groupe Neptunia), ces produits ne sont financièrement accessibles (tout est relatif) qu’à la condition de bénéficier du dispositif français TIRUERT. Sans TIRUERT, le HVO est à 3€/l ! Un point déjà relevé par Pierre-Franck Chevet, président de l’IFP Energies Nouvelles, lors de la conférence Panorama tenue le 12 avril 2024 à Lyon (voir https://www.trm24.fr/lifp-energies-nouvelles-plaide-pour-une-approche-globale-de-la-transition-energetique/ ).
Pour sécuriser les approvisionnements électriques, toute la production des carburants aviation renouvelables et les e-fuels doit faire l’objet, selon les exigences réglementaires, de capacités en MW dédiées et réservées pour cet usage. Faut-il pour autant bannir les e-fuels ? Non, s’ils permettent de valoriser à la fois la capture du CO2 de sites industriels fortement émetteurs (sidérurgie, cimenteries) et de l’électricité provenant de sources dites renouvelables.
[1] EMAG ester méthyliques d’acides gras, produit issu de graisses organiques (végétales ou animales) et d’huiles recyclées entrant dans la composition des B7, B30, B100.
[2] HVO Hydrotreated Vegetable Oil ou huiles végétales hydrotraitées. Ce produit fait partie de huiles paraffiniques de synthèse.
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