Quand Ebusco tousse, les élus locaux trinquent
La firme d’autobus électriques néerlandaise Ebusco a mis en place, à la suite de sa réunion d’actionnaires le 24 octobre dernier, un plan de restructuration. Elle s’est trouvée proche de la cessation de paiements cet automne et a subi des annulations de commandes de la part de l’opérateur Qbuzz aux Pays-Bas à la suite des retards répétés dans la fourniture d’autobus.
La firme basée à Deurne avait bien essayé d’empêcher la résolution du contrat par la saisine d’un juge à Utrecht. Lequel a donné raison à l’opérateur Qbuzz demandant à annuler la commande de 45 autobus. D’autres exploitants comme Connect Bus ou Keolis en Suède avaient fait de même, pour des raisons identiques. Cette (mauvaise) nouvelle fait suite à l’annonce d’une levée de fonds annoncée le 10 septembre 2024 pour un montant de 36 millions d’euros.
Dans le cadre de ce plan de redressement, l’entreprise entend exploiter les dessins et modèles qui seront « assemblés par des fabricants sous contrat » selon les termes du communiqué qui a suivi l’assemblée des actionnaires. Elle annonce se consacrer au seul marché européen, uniquement pour ses activités de vente et de marketing. Une négociation serait en cours en Amérique du Nord pour une production sur place, sous licence de l’Ebusco 3.0 à destination du Canada et des USA. Ebusco espère, ce faisant, pouvoir livrer 40 à 50 autobus par mois au lieu des 15 mensuels qui étaient la moyenne de l’année 2024. Second objectif : une nouvelle réduction des coûts, ambitionnant d’atteindre les 30 millions d’euros annuels. Toujours selon le communiqué officiel « dans le cadre du plan de redressement, Ebusco rationalisera ses sites de production en réduisant le nombre de sites de sept à cinq, notamment en regroupant les installations de Deurne et de Venray (Pays-Bas). » La firme garderait un site aux Pays-Bas et un en France (Cléon) ainsi que trois sous-traitants.
Une entreprise dans la tourmente
L’actuel directeur financier, Jurjen Jongma, quittera Ebusco après la réalisation des opérations financières prévues (levée de fonds et fusion des actions -cinq actions anciennes constituant une action nouvelle-). Il avait déjà réussi la gageure de procéder à deux levées de fonds précédemment. La firme cherche son nouveau directeur financier. Un nouveau CEO a été nommé, Christian Schreyer, qui a pris ses fonctions en septembre 2024. La firme anticipe un point bas de ses liquidités au cours du premier quadrimestre 2025. Afin d’éviter une cessation de paiements, elle espère vendre les 61 autobus issus des annulations de commandes ainsi que convertir en actions les positions créditrices d’un « fournisseur clé et partenaire stratégique » selon les termes du communiqué.
Toujours afin de générer des recettes, elle entend accélérer la fabrication (via son partenaire en Chine) des livraisons d’autobus Ebusco 2.2. La firme semble avoir connu une frénésie de réponse aux appels d’offres, probablement pour rassurer les marchés financiers (Ebusco est une société cotée à la bourse d’Amsterdam), ce qui se traduit aujourd’hui par 694 véhicules à livrer (plus les éventuels 778 options).
Cette « rafle » suscite la colère de constructeurs concurrents qui invoquent une désorganisation du marché. Les retards récurrents d’Ebusco semblent leur donner raison. Les flux logistiques complexes depuis la Chine, et les difficultés à produire l’Ebusco 3.0 à structure composite, font que Ebusco fait face aux pénalités de retard et demandes d’indemnisations suite aux livraisons tardives ou en souffrance. « Selon la planification de production en place, beaucoup de commandes ne seront pas livrées à temps ». Un premier échange au mois d’avril 2024 avec Jean-François Chiron, PDG de Ebusco France, mentionnait des livraisons fin 2024 pour le marché de Rouen Métropole. Sollicité par TRM24 sur les derniers développements, celui-ci n’a pas répondu à nos messages.
Ce qui est sûr, c’est que ces livraisons annoncées pour Rouen ne seront pas réalisées dans les délais. L’exploitant du réseau Rouennais en a pris acte et fait l’acquisition cet été 2024 auprès du réseau Ligne Azur (Nice) d’autobus Diesel Euro IV. Malgré cela, « Ebusco négocie les pénalités et réclamations ». Le Vice-président en charge des transports auprès de l’Autorité Organisatrice Rouen Métropole, Cyrille Moreau, lors d’une séance plénière tenue le 30 septembre 2024 a annoncé que « remettre en cause le contrat n’est pas à l’ordre du jour ».
Lors de cette même assemblée, Cyrille Moreau et Nicolas Mayer-Rossignol ont minimisé les déboires de Ebusco et défendu le choix né de la procédure d’appel d’offres. Le marché attribué à Ebusco (pour 95 unités, en plusieurs lots, soit via appel d’offres -80 unités-, soit via l’UGAP -15 véhicules-) a surpris tout le landerneau du bus en Europe. Selon le site Transbus.org, les premiers Ebusco 2.1 furent livrés à Argenteuil (filiale Transdev TVO) en 2019 avant que ceux-ci ne soient réformés en 2021. Transdev constitue le « fil rouge » du développement de Ebusco en France puisque le réseau de Rouen est opéré par Transdev Normandie. Et Jean-François Chiron fut directeur général Adjoint de Transdev jusqu’à son arrivée chez Ebusco France en 2020.
Un choix politique désormais encombrant
Si les élus de Rouen Métropole se déclarent toujours solidaires d’Ebusco France, c’est qu’ils sont également engagés financièrement. La région Normandie aurait voté 1,2 millions d’euros pour l’implantation de Ebusco à Cléon, sur l’ancienne usine Renault S.A. Montant abondé par Rouen Métropole pour 876 373€ auxquels viennent s’ajouter 150 000€ de l’Etat (enveloppes France Relance et France 2030).
Laurent Bonnaterre, élu local et Conseiller régional de Normandie, qui a soutenu le projet de reconversion du site Renault de Cléon s’alarme dans un courrier daté du 19 septembre 2024 que TRM24 a pu consulter. Les élus ont cru à la promesse de création de 350 emplois. Il semblerait qu’il n’y ait à ce jour qu’une quarantaine de personnes, en cours de formation. Quant à la « production » d’autobus, il ne s’agit en l’espèce que de la réalisation de panneaux latéraux en composites et de la personnalisation finale des autobus.
Le courrier interroge : « cette situation soulève des questions légitimes sur l’utilisation des subventions publiques attribués à cette entreprise, tant la capacité d’Ebusco à respecter ses engagements de développements industriels semble compromise ». Parallèlement, Rouen Métropole avait reçu de l’ADEME une enveloppe de 8.7 millions d’euros afin d’électrifier sa flotte d’autobus. Paradoxe cruel : les Ebusco 2.2 livrés à ce jour (4 exemplaires) ont tous été assemblés en Chine. L’ensemble des marchés attribués à Ebusco représentent 12 millions d’euros d’acompte.
Englués dans ces promesses non tenues, les élus régionaux et locaux, ainsi que l’Etat sont pris dans un piège : « exiger les pénalités contractuelles (ou le remboursement des subventions versées) accentuerait la pression sur la trésorerie de Ebusco. Risquant, de fait, de la placer en procédure collective » a commenté le préfet, Jean-Benoît Albertini sur . Ce qui aurait pour effet collatéral d’hypothéquer la livraison des autobus pour le réseau de transport publics de Rouen tout en remettant en cause les projets de reconversion industrielle du site Renault de Cléon.
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