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Nos routes sont-elles réellement en sursis ?

Quel est l’avenir des infrastructures au moment où l’électrification et la fin des concessions autoroutières posent de nouveaux défis ? Les infrastructures routières sous gestion de l’État n’ont cessé de voir leur linéaire réduit. Concessions, transferts aux départements et aux métropoles se sont succédés au fil des décennies. Le tout sans les financements adéquats d’où de réelles menaces sur ce patrimoine comme l’a révélé un saisissant rapport du Sénat relatif à l’état des ponts en France[1].

Le processus ne date pas d’aujourd’hui

En effet la contraction du réseau des routes nationales gérées par les services de l’État a commencé dès 1972. De 81 500 kilomètres, il a été réduit, par vagues successives à environ 9500 kilomètres. En parallèle, comme l’a rappelé le Sénat en 2022, « la dégradation continue de l’état du réseau routier français [est] bien documentée depuis plusieurs années et [résulte] principalement d’un manque de moyens consacrés à son entretien et à sa réparation ».  

Dans le bilan de la conférence Ambition France Transport, il est évoqué un montant budgété (chiffre 2024) de 700 millions d’euros annuels alors que les besoins seraient, par an, de 1700 millions pour effectuer la régénération et la modernisation du réseau routier national. Le dernier épisode du processus de transfert de voirie remonte à l’adoption de la loi dite 3DS[2]. Ainsi, depuis le 1er janvier 2025, 1 277 km de routes nationales et d’autoroutes ont été mis à disposition des régions Auvergne-Rhône-Alpes (754 km) et Grand Est (523 km) : les axes routiers concernés continuent d’appartenir au réseau routier national et voient leur gestion confiée aux régions, « qui en définissent les objectifs et orientations en matière d’entretien, d’exploitation et d’aménagement et en assurent le financement ». Cette expérimentation est prévue pour une durée de cinq ans, jusqu’au 31 décembre 2029, et s’inscrit dans la continuité d’une première décentralisation de 920 km de voies à 14 départements et deux métropoles. La question du financement est déjà clairement évoquée.

La question des dotations

Dans le cadre de cet énième transfert porté par la loi 3DS de 2022, les régions perçoivent de la part de l’Etat une compensation financière annuelle correspondant à la moyenne actualisée des dépenses qu’il a consacrées à son réseau routier durant les cinq années (pour les dépenses d’investissement) ou les trois années (pour les dépenses de fonctionnement) précédant la mise à disposition ; le droit à compensation provisoire a été évalué pour l’ensemble des deux régions à plus de 76 M€. La région percevra en outre la participation financière de l’Etat aux opérations d’aménagement du réseau routier inscrites au Contrat de plan Etat-région (CPER) dont elle assure la maitrise d’ouvrage depuis le 1er janvier 2025. Cela s’est conclu par la signature d’une convention-cadre entre l’Etat et chaque région puis d’une convention complémentaire visant notamment à en préciser les modalités financières. Une façon de refiler la « patate chaude » aux régions : selon le rapport final d’Ambition France Transports, seul 50% du réseau routier national non concédé serait en bon état tandis que 34% des ponts y présentent « une structure altérée qui nécessite un entretien ou de travaux de réparation urgents ». Les exigences environnementales (protection des eaux de ruissellement, dispositifs anti-bruit) viennent également alourdir la facture.

Le CEREMA, consulté dans le cadre de la conférence, identifie une « dette grise » [3]d’un montant de 7 milliards d’euros pour les réseaux départementaux et de 9Md€ pour les voiries communales ! Transfert aux collectivités et annonces « d’éco-contribution territoriale sur les poids lourds empruntant certains réseaux » (sic) dans le bilan de la conférence Ambition France Transports ne présagent rien de bon pour les utilisateurs professionnels de la route. La Collectivité européenne d’Alsace espère retirer de sa taxe kilométrique 60 M€/an à partir de 2027 quand la région Grand Est vise 150M€/an à la même date. Or, en France, l’exception tend rapidement à devenir la norme ; comme ce fut le cas pour les concessions autoroutières entre 1960 et 1980.

De son côté, l’Autorité de régulation des transports (ART), dans le préambule de son rapport intitulé « L’économie des concessions autoroutières » publié en novembre 2024, alerte sur le fait que parmi les sept concessions autoroutières qui arriveront à échéance entre 2031 et 2036, « les obligations de fin de contrat doivent être précisées pour permettre leur achèvement dans de bonnes conditions. Les contrats sont incomplets -ils ne proposent pas de référentiels techniques pour définir objectivement le bon état de l’autoroute à sa restitution. » Un flou qui n’a rien d’artistique et il n’est pas certain qu’il profite à l’État. Le rapport final de la conférence Ambition France Transport envisage de son côté une surtaxe pour les poids-lourds « sur les autoroutes concédées qui font face à des congestions importantes, comme le permet une disposition de la directive européenne Eurovignette ».

De la question sous-jacente de l’affectation des recettes

Dans le même temps, la Confédération Helvétique a créé le fonds Forta. Il est directement alimenté par les taxes et impôts sur les carburants, les recettes de la vignette autoroutière et diverses taxes sur les véhicules. Outre-Sarine, on n’a pas peur devant le principe d’affectation des recettes. Selon la Radio Télévision Suisse en 2024, le Forta a collecté 2.7 milliards de francs suisses. Il en aurait dépensé 2.9 sur la même période pour l’entretien courant des autoroutes et les besoins d’investissements en infrastructures nouvelles (comme les programmes autoroutiers soumis tous les 4 ans à votation). En Suisse, il y a deux fonds distincts : un pour le ferroviaire et un pour le routier.

Cela constitue une distinction majeure avec la France où l’Agence pour le financement des infrastructures de transports de France (AFITF) prête son concours à des projets routiers, ferroviaires, fluviaux, sans oublier les voies cyclables etc. Autre différence notable : l’AFITF ne bénéficie que « d’une part » des taxes prélevées via la TICPE (entre 1.2 et 1.6Md€/an, à comparer aux 40Md€ collectés) et des redevances des sociétés concessionnaires d’autoroutes (1Md€/an) plus une fraction des recettes des radars automatiques (entre 160 en 300M€/an sur 1.964Md€ anticipés au budget 2024 pour le Trésor public au titres des amendes). On le voit, si la France rompait avec sa doctrine (issue de la révolution) de la « non-affectation des recettes » une partie du problème sera déjà bien traitée. Mais, ça, pour le coup, ce serait une vraie révolution (fiscale) …

[1] Rapport ordinaire du Sénat n°669 enregistré à la présidence du sénat le 15 juin 2022.

[2] Loi 2022-217 du 21 février 2022

[3] Une dette grise est une somme qui correspond aux investissements inéluctables consécutifs à de sous-ou non-investissements réalisés précédemment. Elle inclut le montant de travaux à réaliser et la dépréciation du patrimoine initial.

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